Jérôme Callais, bouquiniste à Paris : “J’ai été conquis par ce goût de liberté”
Jérôme Callais, bouquiniste quai de Conti depuis près de trente ans et président de l’association des bouquinistes de Paris depuis 9 ans nous raconte son histoire et l’évolution de la profession.
Sentez-vous un naufrage au niveau de la profession ?
Il y a un naufrage culturel depuis une dizaine d’années, on a un problème au niveau du savoir et des connaissances qui est énorme. Il y a un réel appauvrissement de la demande, de la qualité de la demande et des requêtes. De plus, il y a une concurrence énorme de la part des nouvelles technologies. Le temps consacré à l’informatique, est un temps pris à la lecture. Dans une autre mesure, le budget mis dans un téléphone, une tablette, un ordinateur, une imprimante, est un budget qui n’est pas nul et si l’on ajoute à cela le développement des liseuses et de la vente en ligne, nous bouquinistes sommes impactés.
Comment êtes-vous arrivé dans la profession ?
Comme la grande majorité des bouquinistes, j’ai eu une autre profession par le passé. J’étais musicien classique, je connaissais tout de même beaucoup de bouquinistes sur les quais. J’avais toujours eu, depuis l’âge de 7 ans, une passion pour les livres et les livres anciens. Lorsque j’en ai eu assez de courir le cachet, je me suis tourné vers cette magnifique profession. J’ai été conquis par ce goût de liberté que m’offrais ce métier. Si je décide d’ouvrir ou de ne pas ouvrir, si je décide de partir pendant deux mois c’est un choix qui ne dépend de personne et c’est quelque chose que l’argent n’offre pas. L’échange est un autre aspect tout aussi séduisant. Le partage de connaissances, les discussions entre passionnés et l’aspect hautement humain est quelque chose de rare que toutes les professions n’offrent pas.
Les bouquinistes sont-ils tous passionnés ?
Il est vrai que c’est une profession qui demande de la connaissance, de l’intérêt et de la passion. Ceux ouverts en ce moment sont des passionnés. Lorsque l’on sait qu’en restant chez soi, le bénéfice serait plus important, alors c’est que l’on est animé par autre chose que l’argent. Beaucoup de mes collègues ont été animés par ce même goût de liberté que j’ai trouvé à travers ce métier. Et puis, ce n’est pas un hasard si 82% de mes collègues ont plus de 50 ans, ce sont des personnes qui ne sont plus motivés par les mêmes ambitions. Le métier de bouquiniste se fait quand même majoritairement après un autre métier, nous sommes assis en extérieur et nous avons un minimum de stabilité dans nos vies qui nous permet de voir venir. Il faut avoir en tête que 40% des bouquinistes ont passé les 65 ans, ils ont donc une retraite qui leur permet de s’adonner comme ils le souhaitent à leur passion.
Comment fait-on pour acquérir ces petites boîtes vertes ?
On peut les acheter d’occasion à d’anciens bouquinistes ou les faire fabriquer. Pour pouvoir les exploiter, il faut remplir un dossier puis se faire valider par la commission.
Comment les bouquinistes se fournissent-ils ?
Chaque bouquiniste fait à sa manière. Certains font des débarras, des vides greniers, les salles de ventes, et d’autres se fournissent chez de petits courtiers qui nous connaissent et savent ce qui peut potentiellement nous intéresser. Je fonctionne essentiellement avec un réseau ami-client et famille qui connaissent mon métier et me propose parfois des livres.
Êtes-vous vous-même un collectionneur ?
La plupart des bouquinistes ont ce rapport-là, on a tous une bibliothèque assez fournie. C’est difficile de ne pas être un passionné et de ne pas garder un certain nombre de choses que l’on sait que l’on ne reverra pas de si tôt. Je n’aime pas ce mot de collectionneur pour les livres, ce ne sont pas des objets inanimés. Un livre c’est tant de choses, c’est trop dense pour être ramené au statut d’objet.
Quelle est la plus belle pièce que vous ayez eu entre les mains ?
J’ai eu des livres entre les mains qui ne m’appartenaient pas et qui ne m’appartiendront jamais et pourtant je garde un vif souvenir de ces moments. Bouquiniste, c’est un métier d’émotion. Je garde à l’esprit le jour où est passé entre mes mains le manuscrit du couronnement de Louis XIV, un exemplaire offert au roi avec les aquarelles originales et c’est pour un passionné une image indélébile. Nous sommes véritablement dans la capitale mondiale de la bibliophilie, on peut voir chez les libraires de haute bibliophilie des pièces remarquables. Ce n’est pas pour rien que se tient chaque année, la grande messe mondiale de la bibliophilie, à Paris. Chaque année, nous avons l’honneur d’y prendre part en ayant un stand. Il se tiendra cette année au Grand Palais éphémère du 24 au 26 septembre. Nous exposerons le travail de Dominique Sedal qui réalise des œuvres photographiques de bouquinistes depuis plusieurs années.
Après plus de trente ans sur votre stand, avez-vous un souvenir amusant à nous raconter ?
Il y a une histoire que je me plais à raconter. Un dimanche printanier, il faisait assez chaud et comme à mon habitude, j’arrive sur mon stand vers 9h du matin. J’ouvre un couvercle au moment où un couple me dépasse suivi de leur enfant qui devait avoir une douzaine d’années et j’entends : “Papa, Maman ! Ce ne sont pas des poubelles, c’est plein de livres dedans !”
Site Internet du salon international du livre rare
Propos recueillis par Julian Debiais
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